Au fil des ans, j’ai pu assister à des dizaines de conférences, dont le pilotage n’était pas toujours marqué par une excellence irréprochable. J’en tire ici quelques leçons, sous un mode inversé. S’il est difficile de les réussir, au moins il y a des règles infaillibles et pas trop difficiles à suivre pour en enlever l’intérêt, user la patience des auditeurs, et désespérer des rencontres rituelles…
CONSIGNES AUX ORATEURS
Préparez-vous bien ! On vous a précisé que vous auriez 10 minutes d’intervention, car vous êtes au moins 5 intervenants dans la première session (après les interventions protocolaires qui auront certainement été deux fois plus longues que prévu au programme). Donc, préparez 70 « slides ». Et soyez bien convaincu que vous aurez tout le temps nécessaire pour les passer toutes, il vous suffira d’aller vite. Le tout est d’être totalement imperméable à toute interrogation sur les questions de durée qui ne sont évidemment pas à la mesure de votre rang.
Préparation canal historique. Mieux ! Ne préparez pas d’intervention orale spécifique. Vous lirez votre communication écrite : celle qui a été distribuée à l’accueil. Et vous devrez lire en faisant bien attention à ce que la salle tourne les pages en même temps que vous : le bruissement des pages tournées en cadence par 300 personnes est très suggestif et donne un sentiment profond d’unité collective, devenu rare dans nos sociétés avancées.
Pas de panique ! En entrant dans l’arène et en vous battant avec le micro dont vous devez penser qu’il ne marche pas même s’il fonctionne parfaitement, soyez rassuré : le président de votre session a commencé par dire qu’il « ESPÉRAIT que chacun tiendrait son temps de parole », en ajoutant bien sûr que « l’on sait bien que, dans les colloques, on dérape toujours un peu ». Le « un peu » est aux colloques ce que le « Va je ne te hais point » est à la tragédie classique de votre enfance. Surtout, aura-t-il précisé aussi, « que l’on est déjà fort nombreux à devoir parler lors de cette session inaugurale » (en fait, il aura été obligé de programmer deux fois plus d’intervenants qu’il avait prévu). Donc tout va bien, temps et durée n’ont aucune importance.
La bataille du temps de parole (suite, sans fin). Placez et replacez cette phrase : « Comme je vous le montrerai tout à l’heure », laissant entendre que votre exposé durera au moins 2 heures. Dès lors, tout le monde sera finalement soulagé de voir que vous n’avez fait que tripler votre temps de parole. Si vous êtes vraiment trop long, parlez plus vite, toujours plus vite, sans vous arrêter. Comme l’a dit Albert « plus on va vite plus le temps est court ».
D’ailleurs, au-delà d’une certaine vitesse, un texte lu a un effet intéressant sur le rendu des traductions. Pour ceux qui pratiquent votre langue, c’est un excellent test, gratuit, de leur capacité de lecture rapide. S’ils ne parviennent pas à vous suivre en lisant le texte de votre communication, qu’ils ont sur les genoux, c’est qu’ils n’ont rien à faire dans un colloque de haut niveau.
Surtout, si votre président de séance vous fait passer des papiers, avec un sourire dont le charme est inversement proportionnel à l’apoplexie qu’il ne doit pas laisser paraître, n’en tenez strictement aucun compte. Annoncez 14 fois que vous allez conclure.
Si vous n’avez vraiment plus la possibilité de jouer le temps en expansion infinie, parlez de tout ce dont vous auriez pu parler si vous en aviez eu le temps.
À chaque fois que le président tente d’intervenir pour vous faire remarquer qu’il faudrait vous arrêtez, reprenez de plus belle en proclamant toujours : « Pour aller très vite ».
Quelle que soit la situation, dites-vous bien que c’est la dernière fois de votre vie que vous avez la parole et que votre message est crucial pour la survie de l’espèce humaine : donc gardez à tout prix la parole, jusqu’à épuisement de la salle et apoplexie explosive du président.