Publié sur LinkedIn, 6 décembre 2024
La crise française comporte de très nombreuses dimensions. Je souhaiterais introduire ici une réflexion un peu différente de celle des constitutionnalistes, politistes…
L’angle : nos institutions, organisations, citoyens, sont confrontés – non plus rarement et à la marge, mais de façon constante et en profondeur – à des ruptures déchirantes, multiples, illisibles, dans l’ordre du monde.
Comme le notait Lord Esher, ami et conseiller du roi d’Angleterre, dans son journal après les obsèques d’Edouard VII : « Jamais il ne s’est produit une telle rupture. Toutes les vieilles bouées qui balisaient le chenal de notre vie semblent avoir été balayées. » (Barbara Tuchman : Août 14, Les Presses de la Cité, Paris, 1962, p. 24)
Cette confrontation déclenche des ressentis et des pathologies, qui vont opérer comme des pièges infernaux :
1. La peur viscérale : chacun perçoit l’énormité des enjeux.
2. Le doute existentiel : les dirigeants – figures de protection – sont-ils encore à la hauteur ?
3. Le blocage : colère, refus, recherche de bouc émissaire, fragmentation, atomisation, coagulations flash.
4. Le “Groupthink” (I. Janis), qui bloque toute inventivité : illusion d’invulnérabilité, foi sans borne dans sa propre moralité, rationalisation pour écarter tout signal posant difficulté, vue stéréotypée des autres acteurs, autocensure, chiens de garde de l’orthodoxie.
5. La dissociation avec le réel : il faut du simple, de l’immédiat, de l’émotion. Nul rappel aux « réalités » n’embraye. Aucune « pédagogie » ne peut convaincre, encore moins faire adhérer.
6. La course infernale : les responsables se mettent à la remorque des groupes les plus vindicatifs. Tout, tout de suite, pour moi. Et malheur à qui tente « d’expliquer ».
7. La radicalité : compromis diabolisé ; le procès en trahison comme ligne automatique de défense et d’attaque ; colère pour tenter de s’aligner sur les angoisses et colères générales.
8. Fuite : toute l’énergie doit être mise dans la dénonciation ; sous des prétentions à gouverner, une logique fondamentale d’évitement : le caractère formidable des défis n’incite pas du tout à se voir aux manettes.
Ces dérives sont habituelles dans les crises ponctuelles, et on finit par trouver des voies de sortie.
Désormais, le terrain général de la navigation est structurellement construit sur ces lignes : illisible, ingérable, conflit, drame. Les pathologies tendent à devenir le déterminant de toutes les dynamiques.
La question est de savoir comment inventer des modalités de navigation et de pilotage, une vie démocratique, si nous entrons définitivement dans un monde marqué par les méga-choc, l’inconnu, l’ombre du chaos. Les pathologies de protection et de fuite ne peuvent rester l’ultime horizon.
A suivre : SE METTRE EN CONDITION DE RÉUSSITE POUR NAVIGUER DANS UN MONDE DE RUPTURES