Non classé25 septembre 2024Par Patrick LagadecPatrick Lagadec : Lost in dissolution – Une hallucination estivale.

Journal, France-dissolution, Juin-Septembre 2024.
Série de papiers publiés au fil des semaines sur LinkedIn.


 

COMPILATION DES PUBLICATIONS SUR LINKEDIN
2 juin : AUX ABOIS, LA FUITE ÉPERDUE VERS LES ABYSSES
20 juin : GRAMMAIRE POUR LE CHAOTIQUE
24 Juin : LIQUÉFACTION
10 juillet : IMPRÉPARATION AUX RUPTURES, RUPTURES DES IMPROVISATIONS
12 juillet : FEMMES ET HOMMES D’ÉTAT AUX PRISES AVEC LES CRISES ET RUPTURES EN

UNIVERS CHAOTIQUE
17 juillet : « AFFAIRES COURANTES À TOUS LES ÉTAGES »
18 Juillet : EN ATTENDANT LA FIN DE L’ATTENTE
27 août : FRANCE : LE CAUTIONARY TALE DU « BAYESIAN »
6 septembre : CASTING DES ÉQUIPES DIRIGEANTES, À L’HEURE DES MÉGA-CHOCS ET DU

CHAOTIQUE
12 septembre : IMPASSE ET DÉPASSEMENT : LA GESTION DE LA CONTINUITÉ AUX PRISES AVEC

LA DISCONTINUITÉ
16 septembre : MAYDAY
18 septembre : « PERSONNE N’AURAIT PU IMAGINER ÇA ! »

 

2 juin

AUX ABOIS, LA FUITE ÉPERDUE VERS LES ABYSSES

Le feuilleton trumpien poursuit sa course folle, chaque défaite est maquillée en Victoire, la haine vengeresse prend ses positions pour Novembre. La moitié des Américains applaudit à tout rompre devant celui qui hurle qu’en 24 heures il règlerait tous les problèmes de la planète (de l’Ukraine au Moyen-Orient, de la Chine à la Corée du Nord), qu’il se fait fort de descendre n’importe qui sur la Vème Avenue sans que personne ne vienne lui chercher misère, que la Justice de son pays est tout entière à pulvériser, comme le FBI, comme l’État « profond »… Make Me Great Again.

Dans tous les pays du monde, le même torrent semble commencer à saper la raison comme le droit, la dignité comme la morale. La démocratie apparaît surannée, le vivre « ensemble » laisse place au vivre « moi contre tous les autres ». La ligne gagnante : faire sauter tous les ponts, tous les ancrages, ériger partout des murs.

En défense, on tente de faire valoir la raison, la démonstration point par point, les exigences morales… Nécessaire, mais insuffisant.

Il faut aller au fond de ces vortex qui peuvent tout emporter. Les citoyens du monde, dans une large part, sont profondément DÉBOUSSOLÉS.

Comment suivre les déferlements technologiques et scientifiques ? Comment vivre des chocs environnementaux qui s’annoncent terrifiants ? Comment tolérer un monde aux frontières de plus en plus intenables ? Comment se remettre à penser et subir la Guerre ? Comment vivre quand le chaotique s’accélère, sur tous les fronts, à tout moment ?

L’épuisement devant les chocs, les menaces, la complexité, semble avoir trouvé la ligne de fuite la plus tentante : aller à fond vers les abysses. Voici la fierté de suivre l’imposteur qui promet tout sur tout, en ne précisant rien sur rien. Difficile, le vivre ensemble ? Allons résolument dans la haine.

Si l’on ne veut pas capituler devant les logiques mortifères, il serait urgent de se mettre en capacité de faire les sauts créatifs indispensables. Ne pas se contenter de conformité, de continuité d’activité, d’une acceptation par défaut des injustices et dérives les plus destructrices.

Pour l’heure, on préfère le plus souvent s’en tenir à un « pas possible aujourd’hui », « ne dramatisons pas », « on a déjà assez à faire avec les urgences du quotidien », « on va leur expliquer »…

Où sont les clarifications et les initiatives décisives ? Quand on aura trop attendu, il sera un peu tard pour se lamenter.

Nous avons un besoin existentiel de créativité personnelle et collective. Les routes à ouvrir sont innombrables. Il faut se mettre en capacité de le faire. Et le plus crucial tient à la volonté de le faire. Just do it ! Now.

Pour approfondir : SOCIÉTÉS DÉBOUSSOLÉES – OUVRIR DE NOUVELLES ROUTES, PERSÉE, SEPTEMBRE 2023.
https://www.editions-persee.fr/wp-content/uploads/2023/09/Dossier-presse-Lagadec.pdf

 

20 juin

GRAMMAIRE POUR LE CHAOTIQUE

Le 2 juin j’écrivais : « Le feuilleton trumpien poursuit sa course folle ».

Depuis le 9 juin, on a vu combien la course folle était devenue une épreuve olympique ajoutée in extremis par les organisateurs. Une fuite à l’abîme dans laquelle la France a une bonne chance de podium. Le monde, ahuri, regarde cet étonnant spectacle fait de disruption-fragmentation pulvérisation.

La profonde inquiétude latente devant un monde qui nous échappe explose en terreur devant des échéances qui soudain se montrent dans toute leur brutalité destructrice.

L’interrogation de fond est grave : comment des groupes humains, qui n’ont aucune préparation aux univers instables, aux surprises de haute intensité, aux turbulences illisibles du chaotique, pourraient-ils naviguer et inventer dans les circonstances actuelles ? Que faire et comment faire quand sur tout sujet, sur tout front, les boussoles n’indiquent plus le nord pour la simple raison que le nord a disparu de la carte, que la carte s’est dissoute dans un magma sauvage ?

Fondamentalement, dans un monde en mutation fulminante, nous sommes aux prises avec ce qui a été qualifié de problèmes diaboliques : des cartographies qui échappent aux analyses pas à pas ; des causes et des facteurs impossibles à sérier – tout problème particulier est le symptôme de larges difficultés systémiques ; des effets impossibles à isoler quand une action est envisagée ; des solutions qui ne peuvent jamais clore une brèche particulière, mais qui rebondissent sur tout le système et déclenchent de nouvelles turbulences, etc.

Il va nous falloir inventer des grammaires, loin de nos cadres cartésiens (qui ne doivent cependant pas être oubliés…). Et accepter d’engager enfin, et non de refuser, des mises en condition de réussite dans ce nouvel univers qui s’impose à nous tous.

Pour l’heure, il n’est guère étonnant que le tableau que chacun ressent soit particulièrement préoccupant. Ce qui exacerbe encore davantage la spirale infernale de la plongée aux abysses, les coups d’épées, les auto-destructions, les fuites en avant au bord du gouffre.

À défaut d’un corps de référence inventif et un peu solide, à défaut de préparation, dans l’urgence actuelle, au moins quelques basiques :
1. « At least do no harm » : ne pas en rajouter en incohérence et provocation.
2. Se fixer sur quelques objectifs qui seront moins dans l’affichage d’un junk food électoral que dans le traitement d’un pays en urgence absolue.
3. Montrer sa capacité à réinsuffler de la confiance, du sens, et des motifs pour un vivre ensemble plus porteur de cohésion qu’un acharnement dans l’illusion et le repli.

 

24 Juin

LIQUÉFACTION

LA BÉRARDE : la submersion de cet écrin de l’Oisans par un torrent de boue et de roches, le 21 juin, se présente comme une métaphore de notre actualité socio-politique.

Chaos climatique en fond de tableau, précipitations exceptionnelles, élévation flash des températures déclenchant une fonte rapide de la neige très abondante, disparition du pergélisol conduisant à une perte structurelle de la tenue des sols… Le conjoncturel se noue au structurel, et voici le phénomène de « lave torrentielle » qui détruit tout sur son passage. Les compétences exceptionnelles du PGHM et des sauveteurs engagés ont permis un miracle, mais les défis sont bien là. Et pas uniquement en montagne.

“PERMAFROST SOCIÉTAL”. Tous azimuts, nous sommes assaillis par des méga-chocs, marqués par des surprises de haute intensité qui plongent tous les acteurs, toutes les structures, dans des environnements largement inconnus. Des flashs circonstanciels actualisent des ruptures de fond, en mutation et accélération exponentielles. Les épreuves qui se multiplient révèlent pêle-mêle d’intolérables inégalités, les limites voire la faillite des réponses conventionnelles, l’impuissance comme l’impréparation des dirigeants et modes de gouvernance.

La confrontation répétée à ces déchirements conduit, là aussi, à la liquéfaction de notre “permafrost sociétal” : le « nous » fait fuir, c’est la recherche frénétique de niche personnelle avec ce qu’il faut de désignation de bouc émissaire ; la terreur fait vomir la raison et triompher le viscéral. Tout est en place pour des fuites volontaires dans des abysses mortels. Comme on n’a encore jamais essayé de sauter dans le vide sans parachute, beaucoup se disent déterminés à essayer.

INVENTION. Comme je n’ai cessé de le dire depuis mes travaux (« Ruptures créatrices », Editions d’organisation, 2000), l’urgence est bien de s’engager dans des travaux de réflexion, préparation, expérimentation, partage d’expérience, en matière de navigation dans nos contextes de rupture. Pour inventer, ouvrir des voies de passage.

À défaut, il ne reste que le refus d’obstacle, le sabordage, les agitations désarticulées, l’aggravation des épreuves.

Avec ce que le chaotique réserve toujours quand on veut le nier : la plongée vers le mortifère et les aventures sociétales les plus funestes.

Jusqu’à présent, la réponse a été : « Ne pas déranger ». Au mieux : « Nous avons déjà tout ce qu’il faut en “continuité d’activité”, en “gestion de crise”, en “communication de crise”, en “leadership de crise”, etc.

À force d’évitements, nous nous retrouvons désemparés à l’heure où les factures ne cessent de nous submerger.

Si au moins on pouvait mettre la question à l’ordre du jour. Commencer par nommer le défi. Et engager un formidable travail d’invention collective.

 

10 juillet

IMPRÉPARATION AUX RUPTURES,
RUPTURES DES IMPROVISATIONS

 

9 Juin, 30 juin, 7 juillet… Après la centrifugeuse en folie, le vaisseau encalminé. Et maintenant ? Ici, c’est l’amertume de ne pouvoir appliquer un programme qui n’existait pas. Là, on exige d’appliquer tout un programme ficelé en quatre jours. Ailleurs, on plaide pour d’inévitables compromis, mais dans un pays où compromis vaut compromission, où l’idéal reste la scission pour séparer les purs et les traîtres.

Le monde, stupéfait, continue à regarder cette France incorrigible qui, peut-être, annonce d’autres plongées délétères dans le monde.

Prenons un peu distance. Le pays, comme bien d’autres, se voit confronté à des défis pour lesquels nul n’a les clés.

Tensions internationales, avec des guerres qui ne cessent d’étendre leur empire. Turbulences mondiales, combinant chocs climatiques, chocs démographiques, migrations de grande échelle.

Tensions intérieures, qui ne cessent de s’accroître avec les angoisses du déclassement.

Exigences en niveau de (sur)vie quand les ténors du monde ne rêvent que de profits personnels pharaoniques. Submersions technologiques dont les acteurs clés n’ont plus la boussole.

Actualité immédiate, notamment économique, qui ne laissera et ne laisse déjà aucun répit.

Devant de tels gouffres, les ornières sont légions :
– On ne met pas ces questions à l’agenda.
– On compense la perte de repères en haussant le ton, en déclamant qu’on a toutes les réponses, en suscitant toujours plus d’acrimonie contre tel ou tel bouc émissaire.
– On oppose à toute proposition visant à reprendre les rênes, une série de blocages : « Nous avons déjà la continuité d’activité, les cellules de crise, la communication de crise »…

Et, quand les ruptures éclatent, c’est la sidération, puis la mobilisation de toutes les réponses
convenues qui ne conviennent plus.

Ce que l’on observe sans doute à cette heure. Comme si chacun dans l’arène était fin prêt à jouer, à Matignon, ou partout ailleurs, ses meilleures partitions habituelles. On irait jusqu’à afficher, pour reprendre la formule acrobatique du Canard Enchaîné du 1er septembre 1954 : « Enfin un gouvernement d’opposition ! » Et si le pouvoir (qui terrorise) finit par arriver, on se prépare déjà à défiler chaque samedi contre soi-même, pour ne pas perdre les leviers de la récrimination et de l’invective.

Quand la gouvernance est aux prises avec les nouvelles turbulences du monde et un chaotique
structurel, de nouvelles donnes en matière de préparation collective s’imposent.

Et s’il est encore trop difficile de le faire dans la sphère publique, nous devons au moins avancer avec les acteurs économiques. Des pistes existent et ne demandent qu’à être pratiquées.

C’est ce que je tentais d’exposer dans le livre « Sociétés Déboussolées – Ouvrir de nouvelles routes », Persée, 2023.
https://www.patricklagadec.net/wp-content/uploads/2023/09/Dossier-presse-societes-deboussolees.pdf

 

12 juillet

FEMMES ET HOMMES D’ÉTAT
AUX PRISES AVEC LES CRISES ET RUPTURES EN UNIVERS CHAOTIQUE

Le vaisseau France semble encalminé dans des jeux d’impuissances combinées. Comme si tout se mettait en place pour laisser le champ à la ruine immédiate, et l’hallucination d’un rendez-vous 2027 qui permettrait la grande explication cosmique entre forces extrêmes. Il serait temps de nous arracher de ces voies de fuite mortifères. Les réalités sont là. Elles ne nous laisseront pas le loisir de nous vautrer longtemps dans nos jeux pervers.

En 2019, j’avais tenté de stimuler réflexion et action pour préparer les cercles dirigeants à tenir leurs responsabilités dans un monde de plus en plus sauvage. « Le Temps de l’invention – Femmes et Hommes d’État aux prises avec les crises et ruptures en univers chaotique ».

Je l’avais écrit au Président de la République (19 juillet) :

« 1. Nous sommes désormais confrontés à des crises pour lesquelles nos visions, nos grammaires d’action, nos préparations, montrent de graves limites. Nous avons en effet pour référence des crises-accidents en univers globalement compartimenté et stabilisé – nous voici désormais confrontés à des crises-engloutissement en univers mutant et chaotique.

2. La question centrale, au-delà de la coordination et même la communication, est celle du pilotage stratégique, alors que nos ancrages, nos repères, nos contrats sociaux sont profondément ébranlés.

3. Il est urgent de répondre à ce défi, qu’il s’agisse de traitement de situations, de modalités d’aide à la décision, de préparation des niveaux exécutifs qui ont la tâche la plus ardue – celle de répondre dans l’instant et d’ouvrir des voies dans l’inconnu.

Ces défis, et les béances qu’ils révèlent, nourrissent des terreurs profondes qui peuvent conduire à des décrochages sociétaux de haute gravité, exploités par maints démagogues dont la dangerosité s’affirme jour après jour. »

Extraits du livre :
« Nous allons devoir compter, sur des Femmes et des Hommes d’État, en mesure de répondre présents […] en situations illisibles et à risques existentiels. Et cela dans un contexte où les dirigeants voient leur statut, leur pouvoir, leur crédibilité, et même leur légitimité soumis à un processus accéléré d’érosion aussi violent que radical.

Mieux vaut ne pas se présenter à ces épreuves sans préparations spécifiquement pensées pour le dirigeant. […] L’impératif à cette heure est bien de tout mettre en œuvre pour sortir par le haut des situations « impossibles » dans lesquelles le dirigeant se trouve rapidement enfermé – et à double tour s’il tombe dans les pièges qui guettent les meilleurs, et terrassent les non préparés. »

Nous avons déjà des pratiques en la matière, reste à convaincre chacun qu’il vaut mieux se mettre en condition de réussite que choisir la capitulation par convenance. Des initiatives puissantes s’imposent – enfin.
https://www.patricklagadec.net/wp-content/uploads/2021/10/Lagadec-LeTempsdelInvention.pdf

 

17 juillet

« AFFAIRES COURANTES À TOUS LES ÉTAGES »

Maux croisés : vide les ministères et remplit la buvette. Comment se mettre, avec une résolution sans faille et une efficacité sans égale, en état de ne pas gouverner ? Comment se mettre hors d’État de marche ? Comment être certain de ne rien voir émerger en voie de sortie ? Quel narratif peaufiner pour arracher un sauf-conduit de façade si le réel vient d’un coup faire irruption dans la non-bataille qui fait rage ? Comment contraindre toute réalité à attendre que Sa Majesté le navire France soit à nouveau à flot, en 2027 ? L’immunité couvre-t-elle un parlementaire dans sa tâche de ministre en non-exercice ? Est-ce que la CJR est en charge en cas de problème avec un zombie ?

RECUL

Certes, il faut faire au mieux dans la tempête… Mais quand, sur tous les tableaux, on voit nonsens et impasses se multiplier, c’est que les conditions générales existent pour que tout se transforme en labyrinthes dont nul ne peut, ne veut, ne doit sortir.

Nous n’avons plus ni la culture, ni la grammaire, ni l’aptitude pour traiter les défis du monde.
En réponse, le système décisionnel se met en droit de retrait pour ne pas avoir à affronter ces tempêtes barbares.

Au mieux, nous avons cultivé la « continuité d’activité » pour passer des difficultés conjoncturelles particulières ; et nous entraînons les salles des machines à faire face à des complications opérationnelles dûment répertoriées. Mais quelle préparation des passerelles de commandement ?

Les Lignes Maginot sont solides :
– Par convention, il n’y pas de question autre que de tactique opérationnelle.
– Quiconque suggère de solliciter les étages stratégiques sur des défis que la tactique ne saurait résoudre sera mis hors d’état de nuire.
– Pour les défis qui pourraient surgir, il reste la consultation expéditive de quelques hommes de Cour qui sauront donner les solutions attendues ; et une sur-communication pour dissoudre les maux dans les mots.
– La règle de Queuille est sacrée : « Il n’est aucun problème assez urgent qu’une absence de décision ne puisse résoudre. »
– Et une voie de sortie actuelle vient conforter tous nos évitements : si l’on est en difficulté, il suffira de basculer dans les « réalités alternatives ». Au moins le temps que ça puisse servir de voie de fuite.

PISTES :
– Dépasser les réponses sur étagère pour travailler les questions qui ne rentrent pas dans les cadres convenus.
– Engager des initiatives novatrices pour la préparation effective des cercles dirigeants afin que l’extravagance et le refus d’obstacle ne deviennent pas les réponses normales aux turbulences du monde.
– Ouvrir et consolider ces efforts en tolérant retours d’expérience effectifs, échanges à l’international, expérimentations hardies.

Le monde actuel, fait de chocs et de ruptures, ne rime pas bien avec « Affaires courantes ». Espérons ( ??) qu’il fasse une exception pour que HMS-France soit préservé et lui donne le temps de se ressaisir.

 

18 Juillet

EN ATTENDANT LA FIN DE L’ATTENTE

Donc, à écouter les plateaux, le pouvoir en France est passé au Parlement. Alors, il va falloir que le Parlement soit à la hauteur de ses responsabilités. Il ne suffira pas de vociférer en proclamant que tout devra être fait comme il a été « promis » qu’il le serait ; ou de multiplier les embuscades vengeresses ; ou de regarder sagement en attendant que le pouvoir soit à ramasser.

Pendant que les retombées de l’explosion du 9 juin finissent par se décanter à l’abri des Jeux olympiques et des affaires courantes, il serait urgent que le Parlement se construise une note repère clarifiant les contraintes et les exigences qui, quelles que soient les vociférations dans l’hémicycle ou les coups de mentons devant les caméras, feront peser leur loi d’airain dès la fin de la drôle de sauterie estivale.

– RESPONSABILITÉ. Quelle exigence pour le Parlement ? Quels risques pour le pays, si ce lieu qui revendique le pouvoir s’en tient à des postures de protestation, de blocage, d’oukases, de non-choix, de dissipation de colères brutes ? On ne saurait se contenter de faire valser les gouvernements en attendant l’an de grâce 2027.
– CONTRAINTES. Quel état des finances publiques et de la dette ? Quelles marges de manœuvre effectives ? Quelles contraintes nos partenaires étrangers et les marchés imposeront ? [Il ne suffira pas de dénoncer « Bruxelles », car on pourrait bien finir par nous dire : « Chiche, vous sortez de l’Euro ! »].
– URGENCES. Quelles urgences il faut traiter pour éviter des situations intenables, qu’il s’agisse de cohésion nationale, de sécurité, de solidarité, de pouvoir d’achat… ?
– AVENIR. Quelles exigences d’investissement – transition écologique, technologie, science, éducation, santé…– pour que l’avenir ne soit pas rapidement fermé ?
– SURPRISES. Il ne faudra pas être bloqué face aux surprises de haute intensité (choc environnemental, choc financier, choc sécuritaire…) que le monde actuel ne cesse de faire déferler. Quelles marges de manœuvre prévoir ?
– PRÉPARATION. Quelle préparation et organisation de la représentation nationale pour se mettre en capacité de jouer son rôle dans ce monde de furie qui voit la montée de la guerre, le basculement dans les réalités alternatives, le décrochage des démocraties, les méga-chocs systémiques de toute nature qui menacent gravement les ancrages, la stabilité, la cohésion de nos pays ?

C’est à l’intérieur des cônes du possible qu’élus et responsables devront dessiner leurs projets,
et se préparer à tenir leurs responsabilités.

Là encore, on ne saurait se mettre en droit de retrait pour rester à l’écart de la fureur du monde en attendant, en expédiant les affaires courantes, de sublimes grands soirs.

 

27 août

FRANCE : LE CAUTIONARY TALE DU « BAYESIAN »

Stupéfaction : le “Bayesian”, super-yacht de 50 mètres, bijou de 50 millions €, était tenu pour insubmersible. Peut-être victime d’une trombe marine (entre autres facteurs), il a sombré le 19 août près de Palerme.

Osons y déceler un “cautionary tale” pour la France – même si ce type de raccourci est toujours aventureux.

Dans son édito politique matinal, Patrick Cohen expose l’imbroglio de blocages dans lequel se retrouve le pays. [1] Si l’on sort un instant la tête des turbulences quotidiennes, la France, comme le “Bayesian”, est en alerte rouge. Sous la menace de tornades – financières, économiques, sociales, institutionnelles… – qui pourraient cristalliser bien des failles, apparentes ou masquées.

L’une des vulnérabilités structurelles les plus décisives est l’impréparation à concevoir et traiter, non plus seulement des accidents de parcours mais des ruptures majeures d’importance existentielle. Des chocs qui peuvent balayer les meilleurs Programmes, comme les plus solides inerties ou indécisions.

Ce n’est pas la multiplication des exercices de crise qui peut avoir ici un impact réel. Nous sommes confrontés à des épreuves d’une autre nature, d’un autre niveau de gravité, qui obligent sortir de nos univers de référence, de nos logiques de raisonnement. Il faut ici se faire visionnaire, capable de poser des questions non posées, d’ouvrir des voies inédites, de combiner des volontés indomptables…

Qui ne s’est pas entraîné à travailler dans cet autre “espace-temps” a le plus grand mal à sortir de ses sillons habituels, de ses éléments de langage les plus spontanés. C’est là notre plus grand handicap. La première difficulté est que l’énoncé même de ce handicap reste le plus souvent incompréhensible, ou d’emblée rejeté en raison de l’inconfort ressenti. C’est pourtant bien dans cet angle mort que se trouve, quels que soient les sujets, nos fragilités les plus essentielles. Et ce pourrait d’ailleurs être là aussi le moteur de bien des hésitations à exercer véritablement des responsabilités dans cet univers sauvage qui invite davantage à l’évitement qu’à la prise en charge.

Il est urgent de se reprendre pour bien mesurer – ensemble – à quel point le sort du Bayesian n’est pas réservé à un bateau, fût-il l’un des plus superbes et les plus sûrs de la flotte mondiale de plaisance.

Doris Kearns Goodwin,“Leadership – Lessons from the Presidents for Turbulent Times”, Penguin, Random House, 2018.

Patrick Lagadec :
– « Le Temps de l’invention – Femmes et Hommes d’État aux prises avec les crises et ruptures en univers chaotique », Editions Préventique, 2019. http://patricklagadec.net/wp-content/uploads/2021/10/Lagadec-LeTempsdelInvention.pdf
– « Sociétés déboussolées – Ouvrir de nouvelles routes », Persée, 2023.
https://www.patricklagadec.net/wp-content/uploads/2023/09/Dossier-presse-societes-deboussolees.pdf
[1] https://www.radiofrance.fr/franceinter/podcasts/l-edito-politique

 

6 septembre

CASTING DES ÉQUIPES DIRIGEANTES
À L’HEURE DES MÉGA-CHOCS ET DU CHAOTIQUE

Le Premier ministre a enfin pu être nommé. L’heure est à la constitution de l’équipe ministérielle et des équipes de conseillers. Bien sûr, les grands dossiers sur la table sont listés: dette et finances publiques, ruptures écologiques, pouvoir d’achat, services publics, sécurité, immigration… Il y a déjà là de quoi prendre tout le temps et l’énergie disponibles.

Il faut toutefois ajouter une tout autre dimension, certes difficile à cerner et qui nous est largement étrangère. Nos sociétés sont toutes confrontées à des environnements de plus en plus déchirés, marqués par le surgissement violent de crises majeures qui se répandent de façon systémique et sur un mode hypersonique.

Des crises qui ne s’annoncent pas par des “signaux faibles” que nos capacités de veille parviennent aisément à détecter, mais par des signaux aberrants pour lesquels nous n’avons pas les instruments permettant leur détection.

Des crises hors-cadre qui ne se laissent pas traiter par les modes courants de “gestion de crise”, dès lors que l’on ne traite plus d’accident de parcours pour lesquels on a les protocoles de réponse, mais d’engloutissement rapide, avec perte des ancrages, des visions, des tissus sociétaux.

Il va donc s’agir, en plus d’opérer sur les défis déjà en souffrance, de naviguer dans cet univers pulvérulent, hautement sensible, marqué non par l’incertitude mais l’inconnu, exigeant moins des gestionnaires que des visionnaires – un univers qui produit structurellement des chaînes de crises et de ruptures d’importance existentielle.

Dans ses mémoires, Henry Kissinger écrit ceci à propos de sa nomination : « Nixon lui [Rockefeller] avait posé beaucoup de questions sur moi et en particulier sur mon comportement en temps de crise » (À la Maison-Blanche, 1968-1973, t. 1, Fayard, 1979, p. 14).

En bref, il serait sage :
– de songer à poser ce type de question, non pas seulement comme dans le cas de Kissinger pour un poste à la Sécurité nationale, mais pour tout poste de haute responsabilité car la sécurité nationale est désormais engagée de multiples façons – il s’agit ici de profils personnels.
– d’armer les équipes, non pas seulement de « cellules de crise », mais de capacités spécifiques d’anticipation, de réactivité, de traitement, des chocs et surprises de haute intensité qui ne pourront pas ne pas intervenir – il s’agit ici de modes nouveaux d’organisation.
– de prévoir une préparation, un entraînement de haut vol pour tous ces hauts responsables, de façon à ce que l’inconnu, le choc venu d’ailleurs, ne soit pas d’abord générateur d’une tétanisation de longue durée, et de navigations rapidement très pénalisantes – il s’agit ici d’un travail dans la durée.

Les plus grands défis sont ceux qui n’ont pas été repérés. À nous de savoir nous équiper pour traiter cette nouvelle donne constitutive du XXIème siècle.

Le Temps de l’invention – Femmes et Hommes d’État aux prises avec les crises et ruptures en univers chaotique, Editions Préventique, juillet 2019. http://patricklagadec.net/wp-content/uploads/2021/10/LagadecLeTempsdelInvention.pdf

Extrait de P. Lagadec, Ruptures créatrices, Ed. d’Organisation-Les Echos éditions, 2000.

Entretien avec Xavier Guilhou :
« Ce sont les moments forts de votre existence qui vont vous servir de socle pour lancer des dynamiques qui feront émerger les solutions. » (p. 107)
« Il faut rechercher des gens de bon sens (qualité qui n’est pas largement partagée), mais plus encore des gens atypiques, qui ont vécu des choses fortes, dotés d’une forte capacité d’écoute. Il faut prendre des hommes de projet et qui ne sont pas gérables selon les logiques établies. Ce sont des personnes qui ont l’habitude de s’affronter à des choses impossibles, de marier les champs du possible et de conduire des aventures humaines exceptionnelles.
Ce sont des personnes qui n’ont pas des « CV sur étagères » et sont souvent quasiment rejetées par le système. » (p. 109)

12 septembre

IMPASSE ET DÉPASSEMENT :
LA GESTION DE LA CONTINUITÉ AUX PRISES AVEC LA DISCONTINUITÉ

 

Grande Master Class matinale de Dominique de Villepin sur France-Inter en cette rentrée embourbée. Le constat est direct : quels que soient les fronts, nous sommes en retard de phase.
Et cela ne manque pas, ne manquera pas, de nous coûter collectivement très cher.

Le temps n’est pas aux petits calculs, mais à la clarification et la détermination. N’est pas aux petits “éléments de langage” qui permettent de masquer les évitements et chausse-trappes de convenance ; n’est pas aux petits placements pour trouver quelque niche de fausse protection.
Il faut parler clair et lucide. Aux Français, pour les embarquer dans le réel qui ne demande pas la permission pour frapper à la porte – ou plutôt pour défoncer portes et fenêtres.

A cet égard, un discours de politique générale pourrait ne pas emprunter la “voie normale” du long plaidoyer permettant à chacun d’ergoter. Il pourrait d’ailleurs surprendre par sa brièveté sur le mode : « Ce n’est pas la peine de vous faire un dessin. Voici les quelques pistes que je suivrai. Et voici les responsabilités qui vous attendent. »

Quand on est sur le Titanic, il est pathétique d’en rester à se demander comment se placer et ne pas s’engager, pour s’emparer du poste de Capitaine quand l’insubmersible paquebot aura rejoint le quai 20-27 à New York.

L’une des raisons de ce syndrome de l’enlisement dans les sables mouvants est que nos visions, nos modèles de « gestion », sont pensés et armés pour la continuité, la linéarité. Or, nous sommes jetés dans des univers de plus en plus marqués par les ruptures. Il serait temps d’opérer les sauts nécessaires tant en matière de pilotage que de préparation aux changements de logiciel qui s’imposent.

Il faut pour cela que le refus ne se durcisse pas à mesure que les murs se rapprochent. Pour l’heure, le suivi des affaires courantes et trébuchantes a fortement tendance à saturer tout l’espace de réflexion, de communication et d’action disponible.

Soyons positifs et déterminés. Engageons les ruptures créatrices qui nous permettront, collectivement, de ne pas seulement ranger les chaises sur le pont du Titanic, en attendant l’heure où l’orchestre jouera le sublime « Plus près de toi mon Dieu… ».

Mobilisation. Clarification. Action. Préparation. Les pistes opérationnelles existent. Il faut
vouloir les emprunter.

“Ruptures créatrices“, Éd. d’Organisation – Les Échos Éditions, Paris, 2000.
“La Fin du risque zéro” avec X. Guilhou, Eyrolles – Les Échos Éditions, Paris, 2002.
“Le Temps de l’invention – Femmes et Hommes d’État aux prises avec les crises et ruptures en univers chaotique”, Préventique, Bordeaux, 2019. (https://lnkd.in/d5seXTvG)
« Sociétés déboussolées – Ouvrir de nouvelles routes », Persée, 2023.
https://www.patricklagadec.net/wp-content/uploads/2023/09/Dossier-presse-societes-deboussolees.pdf

16 septembre

MAYDAY

Pendant que l’on combine savamment hallucination décisionnelle, droit de retrait, délit de fuite, promesses et menaces d’obstruction, mise en place des conditions de pulvérisation, procès en trahison, procès en compromission, logiques d’embuscade, sifflements, attentes gourmande d’un 2027 miraculeux… les murs du réel ne cessent de se resserrer.

Je me souviens de l’observation d’un grand acteur sur une crise nationale, voici quelques décennies : « Il y avait vingt verrous. Quand le premier a lâché, ils ont tous lâché – instantanément ».

En ce moment, mais ce n’est là qu’un front parmi tant d’autres appelés à se combiner, c’est la gigantesque furie météo sur l’Europe centrale – l’équivalent d’un déluge sur la moitié de la France.

Un déluge qui déclenche notamment une rupture de barrage en Pologne.

Voici l’ère des crises de haute intensité.

Puissent les éléments nous laisser le temps de nos chorégraphies gouvernementales – pathétiques – au bord du gouffre.

La difficulté générique est que l’impréparation à tout ce qui ne s’inscrit pas dans la routine et les petits jeux de cour conduit au syndrome général du refus d’obstacle et à l’impuissance quels que soient les scénarios.

Comme si l’on rejouait la tragédie décortiquée par Marc Bloch : ils ne pouvaient pas penser cette guerre, ils ne pouvaient que la perdre.

Le risque est la débâcle, de magnitude impensable, sur tous les tableaux. Avec en conséquence une tétanisation toujours plus profonde de la classe dirigeante, et un effondrement radical de la confiance envers tous ceux qui jouent à la roulette russe l’avenir du pays.

Il y a urgence absolue à sortir de ces ornières mortifères qui se creusent et emprisonnent toujours davantage de jour en jour. En clair : préparons-nous autrement, pour pouvoir piloter autrement.

Le Temps de l’invention – Femmes et Hommes d’État aux prises avec les crises et ruptures en univers chaotique, Editions Préventique, 2019.
http://patricklagadec.net/wp-content/uploads/2021/10/Lagadec-LeTempsdelInvention.pdf

18 septembre

« PERSONNE N’AURAIT PU IMAGINER ÇA ! »

« Inconcevable ! » : L’exclamation ultime quand le réel sort des petits jardinets garantis sans surprise sauvage. L’exclamation brandie comme sauf-conduit quand on s’est fait totalement contourner faute d’avoir été sérieux et responsable.

« Inimaginable ! » Et si les tribulations sans fin, sapant en continu les tentatives de construction d’un gouvernement pour la France, connaissaient une fin brutale ?

« Intolérable ! » Fantasmagorie qu’aucun observateur sérieux ne saurait émettre. Chacun sait bien que la formation d’un gouvernement est toujours longue, délicate, et donne toujours lieu à tous les calculs, marchandages, pressions, contre-pressions, menaces, conciliabules… pour arriver à former, moins une équipe un peu soudée, qu’une “loose confederation of warring tribes” comme le dit Sir Humphrey dans la série “Yes Prime Minister” (BBC).

Mais nous vivons dans un temps de tensions, de confusions, de pertes de repères, d’effondrements de confiance, de procès permanents en illégitimité, de tribus bunkérisées… Le tout sous la pression inouïe d’environnements profondément fracturés prêts à déchirer les socles les plus solides. Il se pourrait que le Brexit n’ait été finalement qu’une aimable plaisanterie au regard du Frexit intérieur qui taraude et emporte le pays et ceux qui se revendiquent comme ses augustes représentants.

Tandis que chaque état-major et sous-état-major s’emploie à préparer ses prochaines embuscades, à exiger les invitations qui lui sont dues pour des consultations devant toutes être inopérantes afin de garantir de nouvelles positions de combat dans des négociations qui doivent subir le sort de Carthage… sauf à ce qu’elles conduisent à arracher l’application pleine et entière de tout ce que l’on exige pour donner un aval limité dans le temps…

… Soudain, un communiqué lapidaire tombe dans les rédactions :
« L’actuel Premier ministre, prenant acte des oppositions insurmontables rencontrées, vient de remettre sa démission – avec effet immédiat ».

Breaking news sur toutes les chaînes. Comment a-t-il osé ! Inadmissible !

Mais certains se frottent les mains. Enfin une bonne nouvelle ! On avait dit que le pouvoir était passé au Parlement. Il passerait donc directement à un reset général, voire à plus sauvage encore ?

On se retrouverait comme ce colonel américain en charge de l’opération qui tourna mal à Mogadiscio – “Blackhawk down” – et qui prend acte de la nouvelle donne : « Nous venons de perdre l’initiative ».

Non.

Espérons qu’un tel scénario soit, comme je l’espère vivement, un simple « gentle reminder » pour que l’intérêt du pays soit plus fort que l’obstruction destructrice apparemment si tendance.

Espérons que le montagnard, à qui lui demanderait comment il peut choisir d’affronter pareilles difficultés, réponde : « Parce qu’elles sont là ».

Réponse sereine et ferme du guide à un touriste lui demandant comment il peut gravir de telles montagnes…

« AFFAIRES COURANTES À TOUS LES ÉTAGES »

17 juillet 2024

Maux croisés : vide les ministères et remplit la buvette. Comment se mettre, avec une résolution sans faille et une efficacité sans égale, en état de ne pas gouverner ? Comment se mettre hors d’État de marche ? Comment être certain de ne rien voir émerger en voie de sortie ? Quel narratif peaufiner pour arracher un sauf-conduit de façade si le réel vient d’un coup faire irruption dans la non-bataille qui fait rage ? Comment contraindre toute réalité à attendre que Sa Majesté le navire France soit à nouveau à flot, en 2027 ? L’immunité couvre-t-elle un parlementaire dans sa tâche de ministre en non-exercice ? Est-ce que la CJR est en charge en cas de problème avec un zombie ?

RECUL

Certes, il faut faire au mieux dans la tempête… Mais quand, sur tous les tableaux, on voit nonsens et impasses se multiplier, c’est que les conditions générales existent pour que tout se transforme en labyrinthes dont nul ne peut, ne veut, ne doit sortir.

Nous n’avons plus ni la culture, ni la grammaire, ni l’aptitude pour traiter les défis du monde.
En réponse, le système décisionnel se met en droit de retrait pour ne pas avoir à affronter ces tempêtes barbares.

Au mieux, nous avons cultivé la « continuité d’activité » pour passer des difficultés conjoncturelles particulières ; et nous entraînons les salles des machines à faire face à des complications opérationnelles dûment répertoriées. Mais quelle préparation des passerelles de commandement ?

Les Lignes Maginot sont solides :
– Par convention, il n’y pas de question autre que de tactique opérationnelle.
– Quiconque suggère de solliciter les étages stratégiques sur des défis que la tactique ne saurait résoudre sera mis hors d’état de nuire.
– Pour les défis qui pourraient surgir, il reste la consultation expéditive de quelques hommes de Cour qui sauront donner les solutions attendues ; et une sur-communication pour dissoudre les maux dans les mots.
– La règle de Queuille est sacrée : « Il n’est aucun problème assez urgent qu’une absence de décision ne puisse résoudre. »
– Et une voie de sortie actuelle vient conforter tous nos évitements : si l’on est en difficulté, il suffira de basculer dans les « réalités alternatives ». Au moins le temps que ça puisse servir de voie de fuite.

PISTES :
– Dépasser les réponses sur étagère pour travailler les questions qui ne rentrent pas dans les cadres convenus.
– Engager des initiatives novatrices pour la préparation effective des cercles dirigeants afin que l’extravagance et le refus d’obstacle ne deviennent pas les réponses normales aux turbulences du monde.
– Ouvrir et consolider ces efforts en tolérant retours d’expérience effectifs, échanges à l’international, expérimentations hardies.

Le monde actuel, fait de chocs et de ruptures, ne rime pas bien avec « Affaires courantes ».
Espérons ( ??) qu’il fasse une exception pour que HMS-France soit préservé et lui donne le temps de se ressaisir.