Non classé7 janvier 2023Par Patrick LagadecPatrick Lagadec : « La Crise sans fin »

Mis en ligne sur LinkedIn, 7 janvier 2023.

L’expression vient d’être mise en scène.
C’est le titre d’un livre de Myriam Revault d’Allonnes.[1]
Extrait :
« L’absence de terre ferme n’est pas seulement la perte du sol des évidences assurées, c’est aussi ce futur d’autant plus indéterminé qu’aucune expérience du passé ne nous aide à le cerner.
Toute la question est de savoir si nous sommes voués à dériver comme le malheureux naufragé qui s’accroche à sa planche ou à son radeau ou bien si nous pouvons transformer cette errance sur la mer de la vie en une autre situation existentielle: celle
qui consiste à accepter de naviguer dans l’incertitude et l’inachèvement, d’y construire et d’y réparer les bateaux. »

Je la citais dans la conclusion de mon ouvrage « Le Continent des imprévus – Journal de bord des temps chaotiques » [2], et je poursuivais :

« Le grand risque est de voir chacun, dirigeant comme citoyen, s’enfermer dans des logiques de plus en plus pénalisantes : l’évitement constant ; le blocage dans le simple constat ; les replis généralisés dans les conflits et la défiance ; la « mise en panne » du navire, en attendant que l’environnement redevienne comme avant ; le décrochage violent, conduisant à la perte de volonté et aux dynamiques suicidaires ; jusqu’à la fuite volontaire et acharnée dans le chaotique et la politique du pire – avec le non-sens, la dislocation et l’horreur comme finalité glorifiée. […]

Pour éviter pareille course à l’abîme, des aptitudes cardinales vont nous être nécessaires. Certes, il faut conserver certaines règles habituelles, veiller à la flottabilité de base de nos navires, tenir le lien entre un passé qui ne répond plus et des futurs qui ne se discernent pas encore. Mais un changement de vision du monde est nécessaire ; comme le disait si lumineusement le vice-président d’un grand groupe de la Silicon Valley à ses cadres en août 2013 : « Dorénavant, votre territoire de responsabilité, c’est l’inconnu. »

La question la plus essentielle sera la capacité à affronter le caractère instable des réponses. […]

Nous aurions tous les motifs de baisser les bras. Faisons plutôt ensemble le pari de l’invention. En reprenant peut-être ces lignes de Daniel Boorstin en introduction à sa fresque grandiose sur Les Découvreurs : « Les mots les plus prometteurs jamais écrits sur les cartes de la connaissance humaine sont bien Terra Incognita – territoire inconnu. »

À nous donc de nous mobiliser dans le registre de la connaissance comme dans celui de l’action, pour relever ce défi d’un nouvel âge des découvertes.

[1] Myriam Revault d’Allonnes, « La Crise sans fin ». Essai sur l’expérience moderne du temps, Paris, Le Seuil, « La couleur des idées », 2012, p. 186-187.
[2] Patrick Lagadec : « Le Continent des imprévus – Journal de bord des temps chaotiques », Paris, Les Belles Lettres, 2015. https://www.patricklagadec.net/wp-content/uploads/2021/10/Lagadec-Le-Continent.pdf

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