Publié sur LinkedIn le 24 mars 2025.
“We must act when we cannot foresee consequences; we must plan when we cannot know; we must organize when we cannot control. In combination, these certainties change the context of politics, planning and organizational design.”
Todd R. LaPorte [1]
Les mots visionnaires de Todd LaPorte, alors professeur à Berkeley et qui m’a si souvent éclairé, résonnent avec une terrible actualité en ces temps de grandes turbulences multicouches.
Le black-out de l’aéroport d’Heathrow (21 mars), avec ses répercussions mondiales, ses centaines de milliers de passagers en difficulté, ses coûts astronomiques pour tous les acteurs, projette un nombre incalculable de questions – certaines rapidement compréhensibles, d’autres particulièrement difficiles à cerner, cartographier, traiter.
DES QUESTIONS IMMÉDIATES
Les questions les plus immédiatement pointées ont trait au niveau de sécurité des systèmes qui était celui de ce premier aéroport européen et l’un des plus utilisés au monde. Les investigations pourront mieux comprendre ce qu’il en était :
– comment les responsables ont, ou non, tenu compte des alertes données au sujet de la faiblesse des systèmes d’alimentation électrique (The 2014 report by consultancy Jacobs, prepared as part of an earlier expansion push, said « even a brief interruption to electricity supplies could have a long-lasting impact », merci à Patrick Trancu, CBCI ) ;
– comment a été géré l’événement, avec notamment la question de savoir s’il aurait été possible, ou non, de faire fonctionner le système en mode dégradé (et en dépassant les polémiques immédiates : on sait que certaines stratégies de rattrapage en mode équilibrisme sur le fil peuvent être plus pénalisantes que les décisions d’arrêt) ;
– comment les contraintes économiques ont pu ou non peser sur les investissements préconisés et non réalisés ;
– comment cet aéroport était, ou non, moins bien sécurisé que d’autres aéroports dans le monde ; etc.
Mais il faut voir plus large et plus profond.
DES INTERROGATIONS BIEN PLUS COMPLEXES
1. Est-ce que nos graves tensions économiques et budgétaires nous contraignent à naviguer « aux limites » en matière de sécurité des systèmes – la complexité appelant sans cesse des sauts en matière de sécurité, avec des coûts qui ne sont plus à la mesure des moyens des opérateurs ?
Si tel est le cas, nous devrions alors oublier les exigences et promesses de tout ou partie de ce qu’a enseigné l’école de Berkeley en matière de système à haute fiabilité ; et nous serions exposés à voir la route largement ouverte aux anticipations de l’école du « Normal accident » de Charles Perrow (merci à Brett MottBrett).
2. Comment trouver les meilleures trajectoires entre la nécessité d’un effort sans précédent en matière de Défense (dont on mesure chaque jour le caractère absolument nécessaire), sans perdre l’exigence en matière de sécurité de nos systèmes de vie, avec ce que cela appelle d’investissements également majeurs ?
Sur ce point le casse-tête est imposant. Oui, il nous faut nous armer. Mais, surtout en raison de la probabilité forte de guerre hybride (déjà active), il nous faut dans le même temps tenir d’autres lignes de flottaison essentielles :
– la fiabilité des systèmes d’importance vitale (risques techniques, risques amont, risques climatiques, etc…),
– leur capacité à ne pas tomber comme à Heathrow pour une insuffisante de fiabilité, leur capacité à reprendre le plus rapidement possible après un choc pour limiter les effets systémiques d’un effacement d’activité,
– la capacité des systèmes aval à tenir les moments critiques sans tomber à leur tour, la capacité des citoyens à garder confiance et cohésion,
– le tout dans des contextes géopolitiques marqués par la haute conflictualité et le développement majeur des actions hybrides.
NOUVELLE DONNE URGENTE
Une fois encore, je plaiderai pour une nouvelle donne en matière d’analyse des risques, de pilotage des crises, et plus encore d’aide à la navigation dans un environnement marqué non plus seulement par des événements particuliers, mais par des contextes globaux générateurs de méga-chocs, de polycrises, d’engloutissements.
Et cela dans un monde où les acteurs dominants à cette heure, incapables de créer positivement, embrassent avec une avidité sans borne la logique de la destruction et de la dislocation de tout ce qu’ils peuvent soumettre – leur seule source d’énergie et de puissance.
Il ne suffit pas d’établir mois après mois les cartes débordantes de nos défi.
Des nouvelles donnes de grande ampleur sont nécessaires en matière de pilotage.
Wanted : des dirigeants visionnaires et déterminés sont requis pour enclencher les initiatives nécessaires, à leur niveau, avec leurs équipes, leurs experts, leurs collaborateurs – et les citoyens.
On en sait assez en matière de méthode pour engager une démarche innovante : reste à vouloir faire face, à ne pas se laisser aller au décrochage mortifère. “When there is a will, there is way »
[1] LaPorte, Todd R. Ed. “Organizational social complexity – Challenge to politics and Policy”, Princeton University Press, 1975 (p. 345)