Non classé20 juin 2024Par Patrick LagadecPatrick Lagadec : Grammaire pour le chaotique

Publié sur LinkedIn, 20 juin 2024.

Le 2 juin j’écrivais : « Le feuilleton trumpien poursuit sa course folle ».

Depuis le 9 juin, on a vu combien la course folle était devenue une épreuve olympique ajoutée in extremis par les organisateurs. Une fuite à l’abîme dans laquelle la France a une bonne chance de podium. Le monde, ahuri, regarde cet étonnant spectacle fait de disruption-fragmentation-pulvérisation.

La profonde inquiétude latente devant un monde qui nous échappe explose en terreur devant des échéances qui soudain se montrent dans toute leur brutalité destructrice.

L’interrogation de fond est grave : comment des groupes humains, qui n’ont aucune préparation aux univers instables, aux surprises de haute intensité, aux turbulences illisibles du chaotique, pourraient-ils naviguer et inventer dans les circonstances actuelles ? Que faire et comment faire quand sur tout sujet, sur tout front, les boussoles n’indiquent plus le nord pour la simple raison que le nord a disparu de la carte, que la carte s’est dissoute dans un magma sauvage ?

Fondamentalement, dans un monde en mutation fulminante, nous sommes aux prises avec ce qui a été qualifié de problèmes diaboliques : des cartographies qui échappent aux analyses pas à pas ; des causes et des facteurs impossibles à sérier – tout problème particulier est le symptôme de larges difficultés systémiques ; des effets impossibles à isoler quand une action est envisagée ; des solutions qui ne peuvent jamais clore une brèche particulière, mais qui rebondissent sur tout le système et déclenchent de nouvelles turbulences, etc.

Il va nous falloir inventer des grammaires, loin de nos cadres cartésiens (qui ne doivent cependant pas être oubliés…). Et accepter d’engager enfin, et non de refuser, des mises en condition de réussite dans ce nouvel univers qui s’impose à nous tous.

Pour l’heure, il n’est guère étonnant que le tableau que chacun ressent soit particulièrement préoccupant. Ce qui exacerbe encore davantage la spirale infernale de la plongée aux abysses, les coups d’épées, les auto-destructions, les fuites en avant au bord du gouffre.

À défaut d’un corps de référence inventif et un peu solide, à défaut de préparation, dans l’urgence actuelle, au moins quelques basiques :
1. « At least do no harm » : ne pas en rajouter en incohérence et provocation.
2. Se fixer sur quelques objectifs qui seront moins dans l’affichage d’un junk food électoral que dans le traitement d’un pays en urgence absolue.
3. Montrer sa capacité à réinsuffler de la confiance, du sens, et des motifs pour un vivre ensemble plus porteur de cohésion qu’un acharnement dans l’illusion et le repli.

 

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