Non classé20 janvier 2025Par Patrick LagadecPatrick Lagadec : « America First : Et l’Europe, quelle préparation ? »

publié en partie sur LinkedIn, 18 et 20 janvier 2025.

The New York Times, Jan. 17, 2025

Canada’s Plan for a Trade War: Pain for Red States and Trump Allies

Canadian officials are preparing retaliatory measures if the new U.S. administration imposes tariffs on Canadian imports.

Bracing for Mr. Trump’s first day in office and what it might bring for Canada, Prime Minister Justin Trudeau and his cabinet will be huddled together on Monday and Tuesday in what some are calling their “U.S. war room,” in order to be able to respond swiftly if U.S. tariffs are announced.
https://www.nytimes.com/2025/01/17/world/canada/canada-trump-tariffs.html

Et l’Europe ? En théorie, on peut attendre les voies de réponse traditionnelles :
0. Sidération : silence, paralysie, abstention, attente passive de défaites consenties.
1. Miettes : préparation minimale de chacun à aller mendier quelques maigres avantages.
2. Lamentation : confection à la hâte de discours contrits sur fond de capitulation.
3. Confusion : évocation de quelques réponses incohérentes et qui ne seront pas appliquées.

On peut aussi déclamer, « We have a dream… » :
4. Ruptures créatrices : préparation-action stratégique collective.

À l’heure où l’Exécutif US fonce “En avant toute” dans un monde de ruptures sauvages, qu’il se dit déterminé à déclencher tous azimuts à son profit exclusif, il devient d’importance existentielle de ne pas être en retard de phase.

Mais, sauf réaction forte, le point 4 énoncé ci-dessus n’est pas à la portée d’amas institutionnels et organisationnels historiquement plus portés à l’inertie, au chacun pour soi, à la lamentation dans la défaite.

La question qui se pose n’est pas tant celle de l’exposé à longueur de plateaux de nos vulnérabilités, retards et infirmités face au rouleau compresseur de l’alliance scellée entre Washington et de la Silicon Valley. Il ne suffit pas de renvoyer d’avance tous les Thierry Breton susceptibles d’indisposer les maîtres du monde ; de se laisser congeler en fermant les yeux sur le sort du Groënland ; de regarder avec acrimonie mêlée d’envie les dirigeants qui vont se prosterner avec gourmandise et jouissance aux pieds du Capitole.

La question : comment l’Europe (si elle veut survivre), et tous ses acteurs les plus essentiels, peuvent et doivent opérer pour exister dans la tempête annoncée ? C’est le problème de la capacité de nos pays et de nos entreprises, de nos organisations en général, à naviguer dans un monde passé sous d’autres lois.

Voici déjà quelques exigences-repères :

Vision : ce n’est pas une crise. C’est une rupture. Ce n’est pas un mauvais moment à passer. C’est un nouvel état du monde.

Démarche : ce n’est pas un besoin de mettre en ligne les réponses déjà sur étagères. C’est l’obligation de poser des questions nouvelles, de se mettre en mode « invention ».

Nouvelle donne RH : les esprits créatifs ne sont plus à exclure par défaut, mais à rechercher et à mettre en position de leadership.

Rythme : la « creative inertia » chère à nos bureaucraties, tant publiques que privées, doit laisser place à de nouvelles vitesses d’anticipation, de questionnement, d’initiatives.

Point Focal : la surprise. On doit se souvenir de cet exercice qui vit un officier supérieur US, qui jouait le rôle de Saddam Hussein dans un exercice, et qui attaqua juste avant le coup de sifflet officiel – et coula 21 bâtiments US.

Dynamique institutionnelle : mettre sur pied des groupes de questionnement hors-cadre, et créativité hors-cadre, dans maintes organisations, en lien direct avec le sommet de ces organisations, comme aide à la navigation dans le chaotique. C’est le principe de la Force de Réflexion Rapide (FRR), reprise de façon bien plus large, comme principe d’accompagnement indispensable dans les nouveaux contextes de pilotage stratégique.

Décisions immédiates : pareilles mutations demandent, en principe, des décennies. Il s’agit de les mettre en mouvement dans le mois. Cela exige des prises de responsabilité nettes et décisives au niveau des clés de voûte de nos institutions et organisations. Et au niveau de l’Europe.

Initiatives : il ne s’agit pas de trouver LE bon plan idéal pour faire avancer une armée déjà défaite, mais plutôt de lancer des essaims d’initiatives, sur le mode des drones ; tout en intégrant ces foisonnements d’impulsions dans des stratégies elles-mêmes pensées, souples, « liquides », en phase avec le nouvel état du monde.

Discours-ancrage : comme le disait un dirigeant de la Silicon Valley à ses cadres il y a déjà plus de dix ans : « Votre domaine de responsabilité, désormais, c’est l’inconnu. »

Préparations à repenser : il ne s’agit plus simplement d’entretenir le connu, de tester des scénarios compilés, mais de rendre les cercles dirigeants, les cercles d’expertise, les organisations dans leurs tissus, leurs ancrages, leurs pratiques, en mesure de naviguer dans l’inconnu. Il y a là des marges de progrès de très grande échelle.

Préparations à engager en urgence absolue : une toute nouvelle donne pour dépasser nos classiques préparations aux situations de crise, qui sont désormais sorties du « domaine de vol » de nos visions et boîtes à outils. Il faut dépasser le classique « Vous allez faire peur aux Dirigeants ». Et passer au : « Préparons-nous pour ne pas être défaits à chaque bataille que va nous imposer le nouvel état du monde. » Et, cette fois, ce sont d’abord les Dirigeants qui le demandent, et se mettent à la barre.

Les méthodes sont prêtes. Il ne manque que mobilisation, décision, engagement.

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